Exposition Le corps dans l'art

ci-contre : "Baigneuse" E.R d'après Etienne Maurice Falconet, dépôt de la Manufacture de Sèvres

 

LE CORPS DANS L’ART

L’intérêt du monde de l’art et des artistes pour le corps est attesté dès les premiers balbutiements de l’histoire humaine. Dans ce tableau peint au XIXème siècle, l’artiste reprend un sujet cher aux peintres qui est la présentation de Campaspe, par Alexandre le Grand, devant le célèbre peintre de l’Antiquité grecque Apelle, qui doit en faire le portrait. Le peintre en tombe amoureux et Alexandre lui offre sa main. Dans cette œuvre, Campaspe, largement dévêtue, affiche une attitude pudique, yeux baissés et main dissimulant sa poitrine, tandis que le peintre remercie Alexandre pour son geste. Le corps de la jeune femme répond à des proportions harmonieuses, son nez est droit, sa coiffure bien ordonnée, sa peau est lisse et blanche, subtilement rosée par endroits. Ainsi, Campaspe est représentée selon une vision idéalisée de l’Antiquité grecque par un peintre du XIXème siècle.

 

Présenté de différentes manières, tantôt répondant à des règles strictes, idéalisé et glorieux, tantôt désacralisé, distordu, ou torturé, le corps des hommes et des femmes subit de multiples transformations au sein des œuvres d’art, au gré des époques et des courants artistiques. Les différences dans la manière de représenter le corps humain, qu’il soit idéalisé, réaliste ou malmené, peuvent coexister. Les corps juvéniles ne font pas exception, et on observe notamment d’importants changements dans la représentation du Christ enfant au tournant de la Renaissance. Mais le corps n’est pas seulement un corps religieux et sacré, il peut être profane et s’inscrire dans un cadre quotidien. Certains artistes vont jusqu’à montrer le corps dans son expression la plus matérielle et charnelle, s’opposant ainsi à un corps idéal intellectualisé. 

 

  1. Corps de l’enfance :

Au tournant de la Renaissance, l’enfant Jésus passe d’un petit adulte à un véritable enfant ayant une relation filiale forte avec sa mère Marie. Ces évolutions dans la manière de peindre le Christ enfant sont intimement liées aux changements dans l’enseignement des textes liturgiques aux fidèles. D’un enfant-Dieu tout puissant, agissant déjà comme un dirigeant, on passe à un bébé joufflu jeune et innocent qui joue et s’agite dans les bras de sa mère. Tout en insistant sur l’humanité du Christ, les artistes dispersent dans leurs œuvres des indices annonçant sa mort et sa résurrection : posture endormie, évocation du linceul, ou de la croix.

Les enfants profanes quant à eux, servent à embellir et agrémenter des compositions ou des intérieurs. Ils peuvent également incarner un discours allégorique, sans se départir de leur caractère décoratif. Avec le changement de statut de l’enfant dans la société dès la fin du XVIIIème et tout au long du XIXème siècle, les traités d’éducation fleurissent et la société occidentale semble accorder une considération nouvelle aux plus jeunes. Ainsi des représentations plus tendres émergent, telles des vierges à l’enfant profanes, représentants une mère ou une nourrice avec un bébé.

 

  1. Corps idéalisé :

Peindre ou sculpter un corps, ce n’est pas forcément le donner à voir tel qu’il a été conçu par la nature. Cette représentation peut être soumise à des normes, qui structurent le corps « naturel » pour en faire un corps « idéal ». Or, si les critères de beauté changent au cours des siècles, les normes de construction mathématiques que les artistes appliquent pour obtenir des corps harmonieux et idéalisés, restent relativement stables.

Le premier canon connu, c’est-à-dire un ensemble de règles permettant aux artistes de représenter un corps humain, a été écrit par Polyclète, un sculpteur grec du Ve s avant notre ère. Selon ce texte, la tête doit entrer 7 fois dans la hauteur du corps pour obtenir des proportions harmonieuses. Afin de d’animer et d’équilibrer ses figures, il introduit également le contrapposto, une posture qui consiste à plier légèrement l’une des jambes du sujet, entraînant ainsi un léger mouvement du bassin et des épaules. Ces règles de construction géométriques permettent à l’artiste de représenter un corps idéal, un corps de divinité, tel Apollon, dieu du soleil et des arts. Ce dieu de la mythologie grecque incarne une certaine vision de l’ordre, de la beauté et de la perfection.

Les corps idéalisés, masculins comme féminins, sont ainsi majoritairement représentés dans un contexte mythologique ou religieux, jusqu’au XVIIIème siècle. Ainsi les nus féminins sont le plus souvent des déesses ou des nymphes, même si on trouve aussi des représentations plus proches du réel dans un cadre privé. Au tournant du XIXème siècle, certains artistes s’écartent de cette nécessité du sacré pour peindre des corps nus dans des contextes profanes et quotidiens, comme le bain par exemple. Le thème des baigneuses, se détache ainsi progressivement de son prétexte mythologique pour représenter des femmes ordinaires, bien que toujours idéalisées, dans une sorte de rêverie sensuelle de communion avec la nature. Ce mouvement d’éloignement des références sacrées trouve son apogée dans les représentations des artistes impressionnistes et réalistes, puis dans celles de Cézanne et de Picasso au tournant du XXème siècle. 

  1. Corps en tension :

En parallèle de la recherche d’harmonie et de perfection, le corps dans l’art peut être aussi le sujet de nombreuses distorsions, contorsions et autres transformations. Replié, tendu, mouvant, alangui, avachi, les artistes jouent avec les possibilités offertes par le corps pour amplifier la dimension dramatique de leur sujet. Ainsi leurs personnages répondent à une vision et des proportions idéalisées, tout en adoptant des postures particulièrement mouvementées ou torturées. De ces représentations émergent des tensions fortes qui accentuent les émotions et l’identification du spectateur devant la mort, la souffrance, ou simplement l’effort du personnage représenté. Ainsi, le Christ en croix peut être représenté de différentes manières en fonction de ce sur quoi l’artiste ou le commanditaire veut attirer l’attention. Certaines crucifixions montreront un Christ souffrant le martyr, le corps déformé par la douleur, d’autres un Christ glorieux et puissant aux proportions harmonieuses, d’autres encore un homme brisé voire mort, mais au corps tout de même idéalisé. Tantôt on insiste sur le caractère humain du Christ, tantôt sur son caractère divin, selon que l’on cherche à susciter compassion, crainte ou respect.

  1. Corps désacralisé :

Certains artistes font de leur côté le choix de montrer le corps humain en s’écartant des canons classiques et de l’idéalisation. Le corps est avant tout matériel, volumineux, pesant, presque tangible. On insiste sur sa couleur, son volume et des formes. Loin d’une vision seulement intellectuelle du corps, les artistes en appellent aux cinq sens du spectateur. Dans l’ivresse de Noé, l’artiste inspiré du Caravage, stimule et oriente le regard du spectateur par un savant jeu d’éclairage et de contraste. Le corps de Noé, ainsi que le visage et la main de son plus jeune fils sont placés dans la lumière, tandis que l’arrière-plan est laissé volontairement dans l’obscurité. Cette mise en scène permet d’attirer l’attention du spectateur sur le moment clé de cet épisode, ainsi que sur l’enjeu de la moquerie, qui entraînera le châtiment du fils par son père. Par son sujet, ce tableau évoque également le goût et l’odorat, matérialisés par la cruche de vin renversée et les grappes de raisins au premier plan. D’une manière bien plus abstraite, les formes organiques, de la Vénus hottentote appellent le toucher : le visiteur est amené à ressentir les œuvres dans son propre corps. Le corps est célébré pour ce qu’il est, un organisme vivant, sensuel, qui appréhende le monde d’abord par ses sens avant de le saisir par la pensée. Le Lai d’Aristote proclame le triomphe de ce corps sur la pensée intellectuelle en montrant la soumission d’Aristote devant les charmes de Phyllis.

 

Cette démarche se double parfois d’un jeu avec les principes d’idéalisation du corps humain. Ainsi, à la fin du XIXème siècle, le peintre Cézanne traite ses figures humaines par le prisme de la géométrie. Les différentes parties du corps s’inscrivent peu à peu dans des cylindres, cubes et sphères. Cette géométrisation est reprise et radicalisée par Picasso, qui pose les premiers principes du cubisme avec Les Demoiselles d’Avignon en 1907.

 

Plus tard, à la fin du XXème siècle, Francis Bacon remet en question ces normes de construction idéale. Il rend ainsi hommage à Ingres, tout en interrogeant les corps idéalisés de ce peintre représentatif du néoclassicisme puis de l’académisme au XIXème siècle. Les corps fragmentés et distordus de Bacon, complètement affranchis des canons et des normes, sont un reflet de ses angoisses et de ses obsessions, dans une époque encore marquée par les horreurs de la Seconde Guerre mondiale.

Nous utilisons des cookies afin de vous proposer une meilleure navigation dans le site. Dans le cas ou vous refusez l'utilisation des cookies, les fonctionnalités du site peuvent être altérées.